- Evereve a écrit:
- Je suis assez d'accord sur le principe ... la proportionnelle serait bien plus équitable ...
Équitable ?
Sans doute mais serait-ce vraiment une bonne idée ou plus simplement une fausse bonne idée ?
Tout d'abord, comment votent les grands pays démocratiques ?
Les députés britanniques sont élus depuis l’origine du parlementarisme anglais au scrutin uninominal majoritaire à un tour.
Sénateurs et représentants sont élus, aux États-Unis, selon ce même mode de scrutin.
Les députés au Bundestag sont, eux, élus au suffrage universel direct avec un mode de scrutin proportionnel de compensation.
Le pays est divisé en circonscriptions et chaque électeur détient deux voix.
Avec la première voix, il vote au scrutin majoritaire à un tour pour des candidats individuels.
Avec la seconde voix, il vote au scrutin proportionnel pour des listes présentées par des partis.
On compare le nombre théorique de sièges obtenu par un parti à partir du résultat de la proportionnelle (avec répartition des restes à la plus forte moyenne) au nombre réel de sièges obtenu par le scrutin majoritaire. Si celui-ci est inférieur, cas le plus fréquent, les sièges sont attribués aux partis pour porter le nombre d’élus au nombre théorique. Si les élus au scrutin majoritaire excèdent la proportion obtenue avec la seconde voix, cas rare, le parti conserve les élus excédentaires et le nombre de députés est augmenté d’autant. Pour avoir droit à cette répartition, il faut obtenir 5 % des voix au niveau national ou un nombre minimal de sièges. Ce seuil constitue donc un objectif essentiel pour les petits partis, dont il conditionne la représentation.
Ce mécanisme complexe combine les avantages des deux modes de scrutin- lien personnel avec les élus et représentativité assez large des tendances politiques.
Il a permis le maintien de deux grands partis autour desquels se constituent les gouvernements, sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates, et l’existence de plus petites formations dont l’apport se révèle indispensable pour la constitution d’une majorité parlementaire : parti libéral, Verts, communistes, et selon les législatures, extrême-droite.
Le mode d’élection des parlementaires italiens a été révisé en 1994 afin de faciliter l’apparition de majorités parlementaires et d’obtenir une plus grande stabilité ministérielle.
Jusqu’alors, les députés étaient élus à la représentation proportionnelle, combinant une répartition des sièges au sein de grandes circonscriptions, puis une seconde répartition au niveau national.
Les trois quarts des parlementaires sont élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour. Le quart restant des sièges est réparti à la proportionnelle, mais un lien demeure avec les précédents élus. Pour les législatives, chaque électeur dispose de deux voix. Pour les sénatoriales, il n’en a qu’une.
Chaque candidat s’affilie à un parti éligible à la proportionnelle. S’il est élu, ses voix sont décomptés de celles du parti, ce qui signifie qu’une formation ayant beaucoup d’élus au scrutin majoritaire en aura peu au scrutin proportionnel. On parle de système de compensation.
C’est d’une simplicité toute byzantine, mais c’est indispensable aux adeptes de la combinazione à l’italienne…
Depuis la constitution de 1958 instituant la V° république la France a un scrutin majoritaire à deux tours aux élections législatives, ce qui permet de dégager une majorité claire et stable pendant la durée de la législature.
Pour les plus jeunes il n’est sans doute pas inutile de rappeler pourquoi la IVème république est morte par suite de sa faillite politique :
La IVème République (1946 à 1958) a marqué la mémoire collective des Français par son instabilité ministérielle chronique son immobilisme et son impuissance avec 24 gouvernements entre 1947 à 1958, de durée très inégale ( 1 jour à 16 mois ).
Avec l'adoption du scrutin proportionnel, aucun parti ne disposait de la majorité à l'Assemblée.
Des coalitions fragiles se faisaient et se défaisaient au gré des circonstances.
Des gouvernements démissionnaient au bout de quelques jours ou au bout de quelques semaines sans avoir été renversés par une motion de censure parce qu'ils n'arrivaient pas à faire voter par l'assemblée les lois qu'ils jugeaient indispensables.
Les tentatives de renouveau amorcées par Pierre Mendès France en 1954 ont échoué.
Le droit de dissolution, discrédité au début de la IIIème République, n'a été utilisé qu'une seule fois par Edgar Faure en 1955.
Le consensus fragile qui avait présidé à la naissance de la IVème République s'est effondré dès 1947 dans le contexte de la guerre froide, avec l'exclusion des ministres communistes.
Le rejet dans l'opposition, par la Troisième force, des communistes ( PCF premier parti de France en voix, fixant 1/4 de l'électorat durant toute la IVème République) et des gaullistes ( RPF premier parti de France en sièges en 1951 ), ne permettait pas la formation de majorités fortes et stables.
Grâce au mode de scrutin majoritaire à deux tours, la majorité peut aujourd’hui faire sa politique et les Français peuvent choisir en connaissance de cause à l’issue de la législature.
Le paradoxe est qu’en fait le scrutin majoritaire est une condition de l’alternance en France car la majorité a eu tous loisirs d’appliquer son programme et d’être virée si elle échoue ;
A contrario, on observe qu’en fait la proportionnelle empêche souvent l’alternance comme en Italie avant 1994.
Il est exact que le scrutin majoritaire favorise la bipolarisation et donc les grands partis mais comme les grands partis sont rarement extrémistes ce n’est pas forcément un drame.
Avec le scrutin proportionnel, les partis extrémistes prospèrent et peuvent, dès lors, écarter du pouvoir durablement des forces politiques modérées.
C’était clairement un des objectifs de Tonton Mitterrand en digne émule de Machiavel lorsqu’il prit la décision d’instaurer la proportionnelle en 1986 pour donner du pouvoir au FN et ainsi d’empêcher la droite traditionnelle de lui repiquer le pouvoir.
Dans ces conditions, les partis de gouvernement se retrouvent confrontés à un dilemme : soit accepter d’être exclus du pouvoir, soit accepter de négocier des alliances avec les extrêmes. Les élections régionales de 1998 ont montré que cette tentation était très difficile à juguler.
Le scrutin proportionnel incite, par ailleurs, au fractionnisme et à l’émergence de partis « monomaniaques » (Verts, traditionalistes, chevènementistes, altermondialistes etc.…) qui conditionnent leur soutien à un accord de gouvernement qui reprend leur principale revendication.
Exemple : alors que les Français sont majoritairement favorables au nucléaire car on leur a fait croire que c’était vachement la seule bonne solution, avec la représentation proportionnelle, le parti écologiste pourrait conditionner sa participation à un gouvernement de gauche à un arrêt du nucléaire et il aurait une bonne chance d’obtenir gain de cause puisqu’il aurait un « droit de vie ou de mort » sur la coalition.
La proportionnelle, c’est en fait le risque avéré de chantage permanent comme méthode de gouvernement.
Avec le scrutin majoritaire, les électeurs connaissent avant le scrutin le programme qui sera appliqué par le parti majoritaire ce qui n’est pas le cas en Belgique par exemple car la coalition au pouvoir peut être contrainte à appliquer un tout autre programme que celui proposé à l’électeur qui devient en fait totalement dépossédé des conséquences de son vote.
Avec la représentation proportionnelle, il faut attendre la fin des tractations de couloirs post électorales et un accord de gouvernement qui ne bénéficiera pas d’une véritable légitimité démocratique, ni quant aux participants, ni quant au programme.
Par exemple, les Allemands n’ont pas voté (scrutin mixte proportionnel/majoritaire) pour une grande coalition CDU/SPD qui s’est faite, de plus, sur le dos du FDP et des Verts.
Paradoxalement la proportionnelle, c’est l’absence de transparence démocratique.
Le scrutin majoritaire est particulièrement adapté à un pays de taille moyenne ou importante puisqu’il permet, à travers les circonscriptions de créer un lien étroit entre l’élu et ses représentants.
A contrario, le scrutin proportionnel est souvent mieux adapté pour un pays de petite taille où il apparaît moins important d’être issu d’une localité particulière. Comparer la France avec les Pays-Bas ou avec les pays du Nord n’est pas forcément pertinent.
Si de nombreux pays européens ont recours à la représentation proportionnelle, ce n’est pas le cas des deux puissances européennes représentées au Conseil de sécurité de l’ONU. Pour exister sur la scène mondiale, il faut une unité du pouvoir exécutif et une absence de division de la classe politique. En France, comme au Royaume-Uni, le fait majoritaire assure au Président de la République et au Prime Minister le soutien nécessaire pour sa politique étrangère et sa politique de défense.
Puisque la proportionnelle aboutit à des coalitions, encore faut-il que celles-ci soient possibles. Or, contrairement à l’Allemagne, aux Pays-Bas, aux États-Unis… il n’existe pas, en France, de consensus sur le modèle économique et social.
Du fait de son aile gauche le PS reste attaché à ses dogmes anti libéraux qui lui font prendre des positions radicales en matière de fiscalité, de droit du travail, de politique pénale etc.
Si l’on considère que la France a 44 millions d’électeurs et au moins autant de sujets de mécontentements, ça fait donc 88 millions de raisons pour obtenir un pays véritablement ingouvernable avec la proportionnelle.
En fait, dans notre société, les contre-pouvoirs sont moins dans l’opposition à l’Assemblée nationale que dans l’expression médiatique, la presse, les collectivités locales, le pouvoir judiciaire et la société civile, voire dans la rue.
saintpierremeister